La queue de l’Hirondelle rustique, les enquiquinements chez le Paon bleu et l’hypothèse sur le succès reproducteur du Gilles de Binche à l’état sauvage.
Penseriez-vous avoir le moindre succès reproducteur si, d’aventure, dame Nature vous avait affublé d’un bras de deux mètres ?
Et bien je vous demande d’y réfléchir, parce que c’est un peu le sujet du jour…
La « Théorie du handicap » émise au siècle dernier par le biologiste israélien Amotz Zahavi suggère un concept fort intéressant disant qu’un individu doté d’une tare (ou handicap) serait plus attractif qu’un autre qui en serait dépourvu.
La queue de l’Hirondelle rustique
Rappelez-vous, la fois dernière, je vous ai parlé du succès reproducteur des Hirondelles rustiques mâles dû à la longueur de leurs filets s’allongeant au fil du temps.
Bien que cette caractéristique semble inutile en apparence, puisque leur taille ne favorise en aucune manière leurs capacités de vol, ceux-ci jouent néanmoins un rôle essentiel pour définir l’âge d’un individu.
En effet, plus les filets sont longs, plus l’individu est âgé. En d’autres termes, cela signifie que le mâle qui en est pourvu a beaucoup d’expériences de vie (du moins plus que le petit jeunot aux plumes moins longues) ; qu’il est bien adapté à la survie dans ce monde hostile et que, par voie de conséquence, toutes ces qualités ont de bonnes chances de se retrouver dans ses gênes et d’être transmises à sa future progéniture.
Tout ceci constitue un signe extérieur fortement attractif pour une femelle, n’est-il pas ?
Les enquiquinements chez le Paon bleu
J’ai pour vous un cas d’école, sans doute plus éloquent, celui du Paon bleu que vous connaissez toutes et tous.
Cependant, avant d’aller plus loin, il est peut-être bon de rappeler qu’à l’état naturel, le Paon est un oiseau arboricole originaire des jungles d’Asie. Pour autant que vous l’ayez déjà vu faire la roue, vous êtes-vous déjà demandé à quoi pouvait bien servir une traîne si longue et si chatoyante ?
Et bien c’est uniquement pour faire beau, parce que c’est un fardeau à trimbaler ce truc-là ! C’est sûr que c’est classe pour attirer les femelles. Par contre, cela est plus embêtant lorsqu’il s’agit de se faire discret en présence de prédateurs. Sans parler de la difficulté que cela représente pour se déplacer dans les arbres…
Pourtant, le facteur handicapant de cette queue encombrante est un gage de vigueur et de bonne débrouillardise. De plus, le fait de parader à découvert confère au Paon un caractère intrépide et courageux. Enfin, il faut aussi tenir compte de ses couleurs. Plus elles seront vives, plus l’animal sera en bonne santé. Tout un programme !
Nous retrouvons le même principe dans les caractéristiques ornementales et hypertrophiées chez bon nombre d’autres espèces : la queue de la Pie bavarde, la ramure du Cerf élaphe, les voiles des poissons Combattant, les pièces buccales du Lucane cerf-volant et bien d’autres.
En résumé, pour revenir sur les principes de cette théorie basée sur la communication par des signaux extérieurs, l’idée est la suivante : pour qu’un signal soit fiable pour le récepteur, il doit être coûteux pour l’émetteur. C’est le coût du signal qui garantit son honnêteté. Autrement dit, plus c’est difficile, plus c’est attractif et séduisant.
Gilles de Binche à l’état sauvage
Pour permettre d’envisager plus facilement les rapprochements de cette théorie à notre espèce, certains ont préféré la nommer « Théorie du signalement fiable » pour palier au caractère péjoratif du mot « handicap ». Il est clair que l’être humain répond aux mêmes règles. Par exemple, un bouquet confectionné avec des fleurs cueillies à la main dans les champs a-t-il plus de valeur qu’un bouquet bêtement acheté au magasin ?
Dans le genre bling-bling, nous pourrions discuter des heures d’autres stimuli comme les grosses bagnoles, les vêtements de luxe, bijoux et autres artifices qui traduisent la bonne santé financière d’un individu. Ça en fait aussi partie hélas…
Ceci-dit, au vu de tout cela, même si cette théorie explique largement le succès de la chemise à jabot, le plus curieux pour moi est de me dire que si celle-ci dit vrai, un Gilles de Binche à l’état sauvage et dans son plus bel apparat aurait un succès reproducteur largement supérieur au mien.
C’est peut-être vrai, en même temps, cela me laisse franchement perplexe…
Filets : chez l’hirondelle rustique, il s’agit des longues plumes externes de la queue.
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