Miroir, ô mon beau miroir
C’est l’hiver… et c’est justement la période où se forment les couples chez les canards. Ça peut durer toute la saison, déjà à partir de mi-septembre pour les plus précoces et jusqu’en février de l’année d’après.
Mais attention, on ne devient pas LE mâle reproducteur, le beau mari dévoué comme ça sans effort. Loin s’en faut: on n’obtient ces chances de devenir l’heureux papa qu’à la condition sine qua non d’effectuer une bien étrange danse.
Un des rituels les plus complexe est sans doute celui du Canard colvert, le plus classique de nos canards. Ce dernier fait partie du groupe des canards de surface, mieux connu sous la forme “je me nourris en basculant la tête à la verticale dans l’eau en laissant mon popotin à l’air”.
Tous les canards de surface possèdent dans l’aile que l’on appelle un “miroir” contrairement à leur proches cousins les canards plongeurs qui n’en ont pas. Mâle et femelle d’une même espèce en ont un identique, comme une sorte de brassard caractéristique aux couleurs et à la forme identiques. Un signe de reconnaissance en somme... Chez le colvert, il s’agit de ces belles plumes bleues flash et à y regarder de plus prêt, pour être exact, son étendard est: blanc-noir-bleu-noir-blanc. Chez la Sarcelle d’hiver, il y a du noir, du vert, du blanc et peu d’orange; chez le Canard chipeau, c’est noir et blanc.
Quand est un ornithologue un peu faignant, c’est un truc bien utile sur le terrain pour reconnaître les femelles - ainsi que les jeunes aux plumage similaire - qui toutes espèces confondues, ont la fâcheuse tendance à avoir un plumage plutôt brunâtre et cryptique à souhait. Un peu inutile par contre pour différencier les mâles adultes aux couleurs généralement bien distinctives et chatoyantes. Mais même pour ornithologue pas trop zélé, spécifier une femelle sans pourvoir observer le miroir est tout à fait possible. D’ailleurs, le miroir peut être souvent masqué sous d’autres plumes.
Attendu que Mère Nature ne créé jamais rien de superflu, à quoi peu bien leur servir ce miroir, si ce n’est que ça parait cool d’avoir le même que les copains et copines? C’est vrai que ce n’est pas vraiment commun chez les oiseaux... Les canards de surface ne seraient-ils pas capables de se reconnaître entre eux?
L’explication réside dans une belle histoire d’amour à la fin pour le moins dramatique.
Rappelez-vous cette histoire de parade du début. Il semblerait qu’à l’observation de cette dernière, les mâles concupiscents y verraient l’occasion d’arborer fièrement leur miroir, ouvrant ainsi son aile rappelant à la femelle qu’ils sont du même bord, un peu comme si madame la cane souffrait d’une amnésie bizarre. Autre chose étrange, on ne constate à aucun moment que la femelle lui rend la pareille.
A priori, Il semblerait que ce soit la moindre des choses après tout...
Si le mâle exécute la danse correctement suivant un protocole bien précis, le courtisant aura de bonne chance de remporter la compétition et voir son statut élevé à celui de Monsieur Canard, comprenez le mâle reproducteur.
De là, le couple restera soudé. Ils vécurent heureux et fondèrent leur nid ensemble dans la végétation
C’est une fois la future progéniture pondue que survient le drame. Une querelle d’amoureux de laquelle s’ensuit un discours pour le moins surréaliste:
Madame canard: “Bon, t’es bien beau et bien gentil mais maintenant tu peux foutre le camp.”
Monsieur canard: “Mais chérie, je ne comprends pas. Après tous ces moments passés ensemble...”
Madame canard: “Tu ne vas tout de même pas rester à proximité du nid avec des couleurs pareilles pendant que je couve, tu vas nous faire repérer par un prédateur. Si mon plumage est cryptique, c’est pas pour les couilles du Pape!”
Monsieur canard, haussant le ton: “C’est pour que pendant l’incubation, les œufs soient bien camouflés par ta petite personne c’est ça? Tu n’as trouvé que ça comme argument?”
Madame canard, fâchée: “Parfaitement! J’élèverai les petits toute seule! Et maintenant, dégage!”
Monsieur canard: “Espèce de Calliope vas!”
Madame canard: “Canard!”
C’est alors qu’au milieu du printemps, Monsieur canard s’en va rejoindre le club des célibataires délaissés.
Et voilà le nœud du problème:
Si dans la portée, les petits canetons élevés par leur maman, savent très bien à quoi ressemble la femelle de leur espèce, les petites canes, par contre, n’auront jamais vu leur papa, ce fameux canard adulte aux couleurs vives. Comment pourront-elles bien faire quand le moment sera venu de s’accoupler? Comment reconnaître leur futur mari?
Elles ne pourront se fier qu’à ceux qui auront le même miroir que maman...
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